La dame aux bottes lourdes de malheur fuyait en marche continue soutenue par sa carriole à main. Sa carriole, son avenir, qu’elle soit devant ou derrière elle, devant, vide, derrière, remplie du labeur.
Ses lunettes frôlent l’énormité et camouflent une légèreté de traits, chignon grossier, vêtements informes, regard éloigné, faussement fusillant, fait pour faire peur aux enfants, surtout si la distance se réduisait. Dans cette rue passent des enfants. Regard caché derrière les carreaux, regard vitreux, regard terré promène la mort le long des vieux murs des clos.
Je la regardais souvent de mon jardin ou je la croisais. J’avais une brouette, petite, de plastique rouge, un jouet léger à porter. Je me demandais quel mal avait frappé. Je crois qu’elle sut que je la regardais pourtant. Elle respirait le mystère cruel et je le sentais.
Elle allait et retournait, disparaissant dans le mouvement vers son jardin. Une terre à remuer sans cesse, biner, sarcler, apporter l’eau, à peine regarder la lumière et créer du silence, se courber, faire disparaître ses mains dans le sol. Mais quand même faire apparaître du vert et d’autres couleurs, reprendre son souffle, malmenée par un air trop doux. Des mèches de cheveux flottent malgré tout. Vous êtes au jardin. Vous souffrez le bruit des oiseaux attendrissants, un mouvement de nouveau né au printemps, bottes de caoutchouc quelle que soit la saison, plus jamais souriante.
J’ai su beaucoup plus tard. La terre était son avenir. Elle frôlait l’éternité. Elle continuait d’avancer. Elle était la vérité de la peine. Il n’y avait plus que la terre. Il n’y a plus que la terre. Elle est au jardin, au jardin déclos.
Epilogue.
Vous êtes arrivés jusqu’ici. Vous ne savez rien des faits. Vous savez tout de la cruauté, de la souffrance aiguë, du poids de la peine qui perdure à jamais. Qu’importent les faits eux-mêmes ?
Ne pas les connaître évitera de les comparer. Comparer des faits à d’autres faits. Des faits qui font. Des faits qui produisent. Des faits qui ne fondent jamais. Des faits plus faciles à écrire en mots pourtant que d’écrire, décrire un cri.
Cette fin est la fin commune aux faits accablants. Tout est sans doute parti d’un cri d’effroi et ce bruit sonne encore.